Facebook s’est retrouvé lundi au centre d’une polémique –qui a plombé son cours de Bourse– autour de l’utilisation indue des données personnelles de millions d’utilisateurs par une société liée à la campagne de Donald Trump, un scandale qui touche au cœur de son modèle économique.
Les accusations, niées par l’entreprise britannique en question, Cambridge Analytica (CA), ont fait perdre à l’action Facebook près de 6,8% à Wall Street et ont déclenché des promesses d’enquêtes tous azimuts des deux côtés de l’Atlantique.
Selon plusieurs médias, dont The New York Times et le journal britannique The Observer, CA, spécialisée dans la communication stratégique, a récupéré sans leur consentement les données de 50 millions d’utilisateurs pour élaborer un logiciel permettant de prédire et d’influencer le vote des électeurs.
Ces données auraient été récupérées via une application de tests psychologiques téléchargée par 270.000 utilisateurs du réseau social et développée notamment par le psychologue russe Aleksandr Kogan, qui, selon Facebook, les a ensuite fournies indûment à CA.
Facebook a précisé que l’application avait aussi pu avoir accès aux données des «amis» des utilisateurs ayant téléchargé l’application.
CA, qui a travaillé pour la campagne du républicain Donald Trump en 2016, a indiqué que «ces données Facebook n’ont pas été utilisées par Cambridge Analytica dans le cadre des services fournis à la campagne présidentielle de Donald Trump» et aucune «publicité ciblée» n’a été réalisée «pour ce client».
Elle précise aussi «n’avoir pas travaillé sur le référendum sur le Brexit au Royaume-Uni».
Audit
De son côté, Facebook dit avoir fermé le compte de la firme et avoir engagé un cabinet d’audit numérique pour faire la lumière sur cette affaire.
Mais le régulateur britannique de l’information et des données personnelles a annoncé qu’il allait émettre un mandat mardi pour avoir accès aux serveurs de CA et a demandé à Facebook de suspendre sa propre enquête pour ne pas risquer de compromettre la sienne.
Cette polémique tombe d’autant plus mal que Facebook, comme Twitter ou Google, est accusé depuis des mois d’avoir contribué à manipuler l’opinion publique, en particulier par des entités liées à la Russie lors de la campagne présidentielle américaine ou celle du référendum sur le Brexit en 2016.
Ils sont aussi régulièrement accusés de ne pas assez protéger les données personnelles de leurs utilisateurs, qui sont la base de leur modèle économique.
«C’est une brèche énorme sur laquelle il convient d’enquêter. Il est évident que ces plates-formes (technologiques) ne peuvent se réguler elles-mêmes», a lancé la sénatrice américaine Amy Klobuchar, qui a demandé, comme d’autres, l’audition par le Congrès des patrons de Facebook, Google et Twitter.
Le président du Parlement européen Antonio Tajani a promis une enquête sur ces révélations «inacceptables» tandis que Vera Jourova, la commissaire européenne en charge de la protection des données personnelles, a évoqué une affaire «effroyable».
Cette nouvelle polémique illustre «des problèmes systémiques» chez Facebook, selon l’analyste Brian Wieser, du cabinet Pivotal Research.
Jennifer Grygiel, spécialiste des réseaux sociaux à l’Université de Syracuse, pense aussi que ces révélations vont augmenter la pression sur ces entreprises. Pour elle, ce scandale est le fruit de réglementations trop «légères», qui ont permis à Facebook et à ses partenaires d’exploiter ces données en dehors de tout contrôle.
Pour Daniel Kreiss, enseignant à l’Université de Caroline du Nord, Facebook n’a pas compris la différence entre publicités commerciales et politiques (que les données personnelles permettent de cibler vers certains usagers).
«Que Facebook semble ne pas faire la différence entre vendre des baskets et vendre un programme présidentiel est un gros problème», commente-t-il.
Facebook et les autres groupes technologiques vont bientôt devoir composer avec les nouvelles lois sur les données privées, comme le règlement européen général sur la protection des données, souligne David Carroll, enseignant à la Parsons School of Design.
«Facebook et Google vont devoir demander à leurs utilisateurs bien plus d’autorisations pour utiliser leurs données», dit-il, «et beaucoup de gens refuseront, donc (…) cela aura un énorme impact sur ces entreprises».
C’est dans ce contexte que le chef de la sécurité de Facebook Alex Stamos a indiqué lundi que sa mission se concentrait désormais sur la sécurité autour des élections mais qu’il n’avait pas quitté l’entreprise, après que le New York Times lui eut prêté cette intention, sur fond de désaccords internes sur la façon de gérer la lutte contre la désinformation.
En outre, la chaîne britannique Channel 4 News a diffusé lundi des images en caméra cachées, où l’on voit le directeur de Cambridge Analytica évoquer des techniques pour piéger des rivaux politiques aux élections. CA a également nié.
Toujours actif et curieux de tout ce qui se passe dans le monde digital, j’essaie d’écrire régulièrement sur les sujets du quotidien.