Comment les auteurs de violences conjugales exploitent le numérique

Flicage, cyberharcèlement et même installation de logiciels espions dans les smartphones… selon une étude publiée mardi, les violences conjugales s’accompagnent très souvent de cyberviolences.

Les violences conjugales, comme les « cyberviolences », perpétrées via les outils numériques, sont deux problèmes avérés en France. Pourtant, aucune étude n’avait jusqu’ici essayé de croiser ces deux facteurs. C’est désormais chose faite, grâce au centre Hubertine-Auclert (centre francilien pour l’égalité femmes-hommes), qui publie mardi un rapport sur le sujet. Grâce à des questionnaires soumis à des femmes victimes de violences conjugales, il en arrive à une conclusion : en France, les violences conjugales s’accompagnent quasi systématiquement de cyberviolences.

Parmi les 212 femmes interrogées, toutes accueillies pour des violences conjugales pour la première fois par une structure spécialisée, 85% déclarent avoir subi des cyberviolences de la part de leur partenaire ou ex-partenaire sur les douze derniers mois. Ce taux grimpe même à 100% chez les jeunes de moins de 25 ans. Un deuxième questionnaire plus poussé a été soumis à 90 femmes, cette fois suivies de longue date par des associations, et donc plus enclines à se confier. Ces résultats ont montré des taux encore plus importants, avec 100% des femmes de tous âges qui déclarent avoir subi des cyberviolences.

Cinq types de cyberviolences

Mais comment se manifestent exactement ces violences spécifiques, exercées via les espaces et les outils numériques ? Le rapport du centre Hubertine-Auclert en liste cinq différentes. D’abord, le cybercontrôle, qui consiste à fliquer son ou sa conjoint(e) sur les réseaux sociaux, à lire ses SMS et ses mails, regarder les appels émis ou reçus. Cela s’accompagne de pressions psychologiques, comme des reproches si la femme n’est pas joignable en permanence sur son téléphone, ou des appels répétés pour la localiser. Ensuite, le cyberharcèlement avec l’envoi de multiples messages menaçants, insultants et/ou dénigrants par SMS, mails ou sur des applications de messagerie type Whatsapp. « Ces deux types de cyberviolences sont quasiment généralisés », souligne le rapport. Quelque 73% des femmes interrogées déclarent en effet avoir subi un cybercontrôle, 63% du cyberharcèlement.

Les agresseurs utilisent les outils numériques pour instaurer ou renforcer le contrôle, la domination et donc l’emprise dans le cadre de relations de couple, mais aussi après la séparation.

Troisième forme de cyberviolence : la surveillance de la personne, via des systèmes GPS ou espions. Près d’une femme sur trois (29%) déclare avoir été espionnée à son insu via des outils numériques. Elles sont aussi 25% à dénoncer une cyberviolence économique ou administrative, c’est-à-dire le fait qu’on ait changé les mots de passe d’un compte bancaire ou administratif comme l’espace Pôle emploi, la CAF ou les espaces personnels d’un fournisseur d’électricité. Enfin, 10% des femmes interrogées ont subi des cyberviolences sexuelles, ce fameux « revenge porn » qui consiste à diffuser sans consentement des images ou des vidéos intimes.

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Un cybercontrôle très répandu

Ces cyberviolences se cumulent souvent. Ainsi, 75% des femmes ont subi au moins deux types de violences via les outils numériques. « Les agresseurs [les] utilisent pour instaurer ou renforcer le contrôle, la domination et donc l’emprise dans le cadre de relations de couple, mais aussi après la séparation », écrit le centre Hubertine-Auclert.

Certains de ces comportements témoignent d’une pression insidieuse et continue exercée sur sa conjointe. Ce sont ces messages répétés pour « savoir où vous êtes / ce que vous faites / avec qui vous êtes ». Ces interdictions de répondre à un appel, ces obligations de supprimer un contact, ces injonctions à lire des messages pourtant privés. Et même, dans certains cas, le fait de confisquer un téléphone, un ordinateur ou une tablette pour priver la femme de toute possibilité de communication avec l’extérieur. Cette dernière attitude a été subie par « près d’une femme sur deux (53%), quel que soit son âge », note le rapport.

Des violences méconnues

D’autres procédés sont moins connus mais tout aussi réels, comme la pose de « logiciels espions sur le téléphone pour suivre [les] déplacements », explique le centre Hubertine-Auclert. Près d’un quart des femmes (21%) parmi les 90 qui ont répondu à un questionnaire approfondi ont déclaré avoir été surveillées via ces biais-là. Un chiffre « cependant sous-estimé, car les femmes vont avoir du mal à détecter un [tel] logiciel ».

Avec le numérique, certaines stratégies de l’agresseur sont non seulement facilitées mais amplifiées, ce qui renforce la vulnérabilité des victimes et leur isolement.

Les cyberviolences économiques et administratives ont, dans 36% des cas, pour objectif de détourner des aides financières. Certains hommes accèdent ainsi aux comptes administratifs de leur conjointe pour verser des allocations sur leur propre compte bancaire, d’autres exigent de connaître un code de carte bleue. Pour 27% des femmes interrogées, ces piratages sont utilisés pour récupérer des informations privées et leur nuire et les décrédibiliser notamment dans le cadre de procédures auprès d’un juge aux affaires familiales. Le centre Hubertine-Auclert décrit par exemple le cas d’un ancien conjoint qui « avait réussi à accéder au téléphone de la victime et avait constaté qu’elle avait téléchargé une application de rencontres. Il avait utilisé son profil sur cette application dans le cadre d’un rendez-vous avec le juge aux affaires familiales pour affirmer que son ex-partenaire avait une vie sexuelle ‘débridée’ qui n’était pas compatible avec le fait de s’occuper de ses enfants ».

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Conséquences : isolement et perte de confiance

Le rapport du centre Hubertine-Auclert montre que les conséquences de ces cyberviolences sont bien réelles. Près de 80% des sondées ayant été victimes se sont senties seules, isolées ; 70% ont témoigné d’une perte de confiance en elles, plus de 75% ont eu du mal à dormir. Pour plus de 25%, ces violences ont même engendré des pensées suicidaires, voire poussé au suicide. La majorité d’entre elles (66%) n’ont jamais déposé plainte pour ces faits précis.

Ce que montre bien le rapport, c’est l’imbrication entre violences conjugales et cyberviolences. Les secondes commencent en même temps que les premières et les renforcent. « Le cyberharcèlement s’inscrit quasiment toujours dans un contexte où la femme déclare avoir été exposée à des insultes et des injures verbales », écrit le centre Hubertine-Auclert. Tout comme 70% des femmes qui ont déclaré avoir subi des cyberviolences sexuelles ont également dit avoir été victime de violences sexuelles. « Avec le numérique, certaines stratégies de l’agresseur sont non seulement facilitées mais amplifiées, ce qui renforce la vulnérabilité des victimes et leur isolement », conclut l’enquête.